Quand on évoque l’histoire de l’informatique des dernières décennies, les noms de Bill Gates, Steve Jobs ou Steve Wozniak viennent souvent en tête, tant pour leur carrière que pour leur notoriété ou leur héritage. Pourtant, d’autres acteurs, moins connus du grand public, ont eu un impact immense : Bill Atkinson est l’un d’eux. Malheureusement, ce brillant ingénieur nous a quittés le 5 juin 2025, à l’âge de 74 ans, dans sa maison de Portola Valley (Californie), des suites d’un cancer du pancréas.
Génie de l’informatique, Bill Atkinson est notamment l’inventeur du double-clic, d’un ancêtre de Photoshop, et sa contribution chez Apple a été cruciale dans le succès de Steve Jobs et de son projet Macintosh. Il a été le grand architecte des premières interfaces graphiques du Mac, rendant l’informatique accessible à des millions d’utilisateurs, même sans compétences techniques.
« Regarder son code, c’était comme admirer le plafond de la chapelle Sixtine »
Recruté personnellement par Steve Jobs, Bill Atkinson est devenu le 51e employé d’Apple, faisant partie du petit groupe de 30 personnes qui ont développé le tout premier Macintosh. Il a aussi été le designer principal de l’interface graphique du Lisa, avec une interface visuelle révolutionnaire et particulièrement intuitive pour l’époque.
Parmi ses créations les plus marquantes : QuickDraw, MacPaint et HyperCard.
Alors oui, ces noms peuvent sembler d’un autre temps, mais QuickDraw était une sorte de bibliothèque graphique qui permettait d’afficher des formes, du texte et des images à l’écran de manière efficace. C’est cette techno qui a permis au Macintosh d’avoir une interface graphique façon bureau, avec ses dossiers, fichiers et icônes, bien avant que ce soit la norme.
Cette révolution, née chez Apple grâce à Atkinson, s’est ensuite généralisée à tous les systèmes, quels que soient l’OS ou la marque. Et ce n’est pas tout : on lui attribue aussi l’invention des menus déroulants et bien sûr du double-clic, ce geste banal aujourd’hui, mais révolutionnaire à l’époque.
Petit rappel : avant la sortie du Macintosh en janvier 1984, la plupart des ordinateurs personnels étaient basés sur du texte et les souris étaient quasi inexistantes. MS-DOS en est un bon exemple – même si, ironiquement, il pouvait gérer des graphismes.
Des contributions fondamentales chez Apple
Parmi les traces durables laissées par Bill Atkinson chez Apple, on trouve :
- la barre de menus,
- le lasso de sélection,
- l’animation de sélection en « marche des fourmis »,
- et même les coins arrondis des fenêtres (développés avec Jobs), encore présents aujourd’hui dans les interfaces des produits Apple.
Pour la petite anecdote, l’idée de QuickDraw lui est venue après avoir étudié les travaux du Palo Alto Research Center (PARC) de Xerox, menés par Alan Kay, un informaticien visionnaire qui rêvait du Dynabook, une sorte d’ordinateur portable éducatif qui inspirera plus tard le Lisa et le Macintosh. Bien que le projet Xerox soit ultra secret, Jobs et une petite équipe d’Apple avaient été invités à une démo privée. Ils n’ont pas pu voir le code, donc les ingénieurs d’Apple ont dû tout deviner… et reconstruire à leur manière.
Le New York Times rapporte les mots de Steve Perlman, un jeune ingénieur Apple qui avait utilisé le logiciel d’Atkinson pour créer le premier Macintosh en couleur :
« Voir son code, c’était comme admirer le plafond de la chapelle Sixtine. »
Et d’ajouter :
« Son code était extraordinaire. C’est ce qui a rendu le Macintosh possible. »
MacPaint, LSD et HyperCard : pionnier du web avant l’heure
Parmi ses chefs-d’œuvre, MacPaint, un logiciel de dessin numérique ultra intuitif qui permettait à n’importe qui de dessiner ou retoucher des images à l’écran à l’aide d’une palette d’outils graphique – icônes de pinceaux, stylos… Là encore, pas besoin d’être informaticien pour créer.
Plus tard, alors qu’il était en plein trip au LSD, Atkinson a eu l’idée d’un programme qui réunirait texte, image et vidéo dans une base de données simple à manipuler : ce fut HyperCard, sorte de précurseur du Web. Il décrivait lui-même le logiciel comme un « jeu de construction de logiciels ». Sorti en 1987, HyperCard a ouvert la voie au développement d’apps par des non-programmeurs.
Une relation forte avec Steve Jobs… puis une fracture
Dans les années 80, Atkinson et Jobs étaient inséparables. Mais quand Jobs a été évincé d’Apple et qu’il a fondé NeXT, Atkinson a refusé de le suivre, préférant se consacrer à HyperCard. Une décision qui a un peu refroidi leur relation, même s’il avait insisté pour que ce logiciel soit fourni gratuitement avec chaque Macintosh.
À la fin des années 80, il a cofondé avec Andy Hertzfeld (autre légende du Mac) et Marc Porat (économiste) la société General Magic, qui voulait révolutionner l’informatique avec un ordinateur de poche. Le projet faisait concurrence au Newton d’Apple. Les deux ont échoué commercialement, mais ils sont aujourd’hui vus comme les prédécesseurs des iPhone et iPad.
Après la tech, la nature
Bill Atkinson est resté chez Apple de 1978 à 1990, puis a quitté General Magic en 1996. Ensuite, il a bossé en indépendant sur divers projets, dont Numenta, une boîte pionnière dans l’intelligence artificielle. Mais il a peu à peu délaissé l’informatique pour se tourner vers une autre passion : la photographie de nature.
